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Alors il y a là des vidéos, des photos, des articles, des podcast... Bref, de quoi attendre le moment du spectacle, mais aussi de continuer à y penser et à en parler une fois les lumières rallumées... 

  • Chronique #3 : le pianiste désincarné

    Chronique cc 3

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    C'est la fin de la séance. La lumière vient de se rallumer et les applaudissements de s'éteindre. Alors, presque rituellement, pendant que le public qui a ri, pleuré, vibré de concert et formé société durant la séance se disperse vers la sortie en bavardant, un petit groupe de spectateurs (plus ou moins important selon les soirs) se détache du collectif pour venir se rassembler spontanément autour du piano.

    A vrai dire, l'imposant instrument de musique, désormais silencieux, semble être à ce moment le dernier rescapé encore palpable du rêve éveillé que nous venons de vivre ensemble, en regardant les images conçues et assemblées, il y a bien longtemps, par un réalisateur du passé.

    Et ce petit groupe (dont je suis) est parfois recueilli, parfois volubile, mais toujours désireux que l'instant se prolonge. Un peu comme si l'on pouvait et que l'on voulait transformer ces impressions diffuses en objet matériel à conserver toujours avec soi, tellement la présence de ces sensations reste vivace.

    C'est le moment où la parole seule peut prendre le relais pour conduire à travers une succession de mots et de phrases (plus ou moins ordonnés) cet irrépressible besoin de toucher « du bout du verbe », ce mystérieux et désormais obsessionnel « ineffable » des choses du Ciné Concert.

    Mais si les sensations ressenties lors d'un Ciné Concert sont redécouvertes sans cesse à chaque nouvelle séance par ces publics différents, elles ne s'inscrivent pas moins dans une troublante permanence pour qui, comme moi, est témoin de chacun de ces différents moments.

    Comme je le précisais dans la chronique précédente (#2), on peut citer parmi ces remarques d'après-séance : « l'impression soudaine que les acteurs renaissent à la vie », ou que « l'on a vu ce que les personnages se disent, faute de l'entendre, le film étant muet », ou bien, et ce n'est pas le moins étonnant, l'oubli complet de ma présence comme musicien de chair et d'os dans ce monde d'ombres animées…

    Je prends donc le temps aujourd'hui de partager des éléments de réponse un peu plus approfondis que ceux qui sont d'usage dans les courts moments d'après séance, (qui me trouvent d'ailleurs passablement diminué après avoir joué du piano pendant une heure trente ou davantage).

    Je traiterai principalement dans cette chronique de cette « sensation d'oubli de ma présence », car elle est analogue en beaucoup de points (me semble t-il) au rôle, à la fonction que peut tenir un personnage secondaire dans une pièce de théâtre : élément indispensable de la structure complexe de l’œuvre, il est pourtant par son essence même obligatoirement tenu à une discrétion extrême, et aller jusqu'à friser l'oubli quasi total.

    Préméditation présente dès l'écriture, où l'auteur s'attache à employer systématiquement cet état de « second » pour rappeler une action passée, pour annoncer une action à venir, pour relier deux situations principales, deux lieux centraux ou deux moments importants. Ainsi va la musique, dans les moments où sa fonction est de « rappeler », « d'annoncer » ou « de relier ».

    Ce positionnement particulier est d'ailleurs prolongé par le travail du metteur en scène qui, dans le cadre du théâtre classique, jamais ne permettra à un personnage secondaire de gagner l'avant-scène, à moins que ce soit pour rappeler une situation passée, annoncer une nouvelle importante, expliquer une transition. Ainsi la musique se doit aussi d’intégrer ces lieux (pour le coup transposés en moments, car la musique se déroule dans le temps). Elle s'insère alors dans ces espaces (de temps) pour poursuivre ce même but, qui est de fluidifier le propos, clarifier la narration, préparer l'intention qui éclatera bientôt plus tard dans le paroxysme expressif voulu par l'auteur.

    Mais la musique peut aussi être un personnage principal, quand elle décide par elle-même qui ou quoi dans le film doit être considéré comme élément primordial. Alors elle peut à son gré associer ou opposer la volubilité sonore au minimalisme des images, l'intensité extrême ou le pianissimo le plus impalpable, (et tant d'autres registres qu'elle possède, comme les différents timbres et registres, la complexité rythmique, harmonique, mélodique).

    A travers ce que l'on pourrait qualifier « d'esthétique du choc », le musicien devient alors metteur en scène1, choisissant, après une étude approfondie et/ou parfois en suivant l'intuition révélée dans l'instant, (à l'aide de la connivence du public par exemple) de quelle manière le contenu du film peut s'ordonner.

    Ainsi va la relation intime entre la musique vivante et les images animées. Et c'est la profondeur de cette intimité qui porte en elle l'illusion de la parole, (en tout cas de son mouvement) des acteurs du muet, et qui fait oublier jusqu'à sa source : le musicien vivant qui, comme le public est porté, transporté, captivé et se noie avec délice dans les images qui défilent et auxquelles il réagit à travers les volutes sonores de son écrin musical.

    Et pour conclure, ne boudons pas le plaisir de revenir un instant sur cette relation primordiale qui existe entre l'auteur dramatique de théâtre (que je confonds dans cette chronique avec le réalisateur du film muet) et son metteur en scène (auquel j'identifie mon rôle de musicien « de chair et d'os »). Laissons pour cela la parole à Marcel Pagnol, qui en 1929 est alors le jeune auteur de la pièce Marius. Il décrit ci-dessous une répétition qui précède de peu la première (qui sera triomphale) au Théâtre de Paris :

    « Dans les manuscrits distribués aux acteurs, j'avais supprimé la partie de cartes. D'abord parce que la pièce était trop longue : il fallait faire des coupures ; d'autre part, cette partie de cartes n'était qu'un « sketch », qui eut été à sa place sur la scène de l'Alcazar de Marseille, mais qui me paraissait vulgaire et peu digne du théâtre qui avait été celui de Réjane. Contrairement à mon attente, Raimu n'avait pas protesté contre la disparition de la scène et je pensais qu'il en avait oublié l'existence ». [….].

    Puis, nous voilà ensuite transportés dans le cours d'une répétition :

    « Il me sembla qu'il y avait du mystère dans l'air, car Raimu, Charpin, Dullac et Fresnay2 échangeait des regards complices et des clins d'yeux souriants. Volterra et la patronne s'installèrent à l'orchestre, et j'allai m’asseoir près d'eux ». Pendant qu'on frappait les trois coups, Léon (Volterra) serra mon bras et dit avec force : écoute d'abord !

    Conseil mystérieux ; mais comme j'allais en demander le sens, le rideau se leva sur la partie de cartes ».

    C'est ainsi que Marcel Pagnol, vit sa pièce enrichie par la mise en scène (pour le moins intrusive) de ses acteurs et que, écrivant le texte (dont le passage ci-dessus est extrait) après que sa pièce Marius eut atteint la 800°, précisa pourquoi et comment il avait réintroduit la désormais célèbre partie de cartes. Il déclara aussi : « Ainsi fut fait, à la satisfaction de tous. Je n'ai pas eu lieu de m'en repentir »3.

    Voilà qui donne du courage et de l'audace au musicien de cinéma muet : metteur en scène oui, mais seulement parce qu'il agit uniquement au service de l'auteur, qui a imaginé et crée l’œuvre sur laquelle il est en train de jouer.

    1Idée exposée par Jean Jacques Ruttner à l'issue d'un Ciné Concert Pabst au Luxy d'Ivry en juin 2015.

    2Les acteurs de la pièce.

    3Marcel Pagnol, Confidences – p. 184,185 – éd. De Fallois - Fortunio.